" Peur sur la ville " porte bien son titre. Devant la caméra d'Henri Verneuil, Paris devient une cité inquiétante, dangereuse. " Sur le générique de début, explique le cinéaste (1) , j'aime beaucoup la façon dont le thème (d'Ennio Morricone) se marie aux images d'un Paris nocturne, en pleine évolution urbaine, avec la froideur des tours de La Défense. Grâce à la musique, une menace plane, on ignore d'où elle va surgir... " Elle va très vite prendre la forme de Minos, le tueur de femmes, au visage déformé par un oeil de verre. Rarement film policier aura autant joué avec nos peurs.
Mais " Peur sur la ville " reste avant tout une succession de scènes d'action impressionnantes jamais vues au cinéma. Jean-Paul Belmondo courant sur le toit du métro reste aujourd'hui une image phare quand on évoque sa carrière. Cette séquence ne fut pourtant intégrée dans le scénario que très peu de temps avant le tournage. " Le script original, explique Belmondo (2) , prévoyait une poursuite dans le métro, cela avait déjà été fait. J'ai pensé qu'il serait plus original de faire cette poursuite avec un protagoniste à l'intérieur du métro et moi au-dessus des wagons. " Les scènes furent tournées la nuit, avec le concours de la RATP, pour ne pas interrompre le trafic et travailler en toute sécurité. " Ca a commencé comme ceci, raconte Henri Verneuil, nous avons d'abord envoyé le métro à 15-20 km à l'heure, Jean-Paul était debout ; ensuite, il nous a dit par téléphone : " Vous pouvez l'envoyer à 10 km de plus. " On l'a envoyé à 30, 40, 50. A 60 le vent était très, très fort. Il a dit : " J'y suis ", c'est à dire qu'à 60, il se sentait parfaitement en sécurité. Il n'a pas dépassé 60. La toute petite tricherie, c'est que j'ai mis le son d'un métro qui roule à 80 à l'heure... " La scène inspirera Steve MacQueen pour " Le chasseur " et Chuck Norris pour " Sale temps pour un flic ".
L'autre morceau de bravoure du film est la poursuite Letellier-Minos sur les toits, dans le quartier de l'Opéra. Belmondo glisse, saute, tombe, se raccroche in extremis, pour mieux faire frissonner le spectateur. De telles cascades nécessitent évidemment une grande préparation, dont s'est occupé le décorateur Jean André : " Il a fallu construire une surface de toit suffisamment grande pour permettre sans trop de risques des acrobaties à 45 mètres du sol : les éléments devant être suffisamment résistants pour que Belmondo ne glisse pas ; et il fallait également aménager des sécurités et des filets pour que les chutes éventuelles des comédiens ou des techniciens ne tournent pas en catastrophe. " Enfin, Belmondo se retrouve suspendu au filin d'un hélicoptère de la Gendarmerie Nationale au-dessus du vide.
Entre temps, des scènes de cascades en voitures ont été tournées à Gennevilliers sous la direction de Rémy Julienne. Celui-ci vient de se fracturer le péroné sur le tournage de " L'agression " de Gérard Pirès, mais tient à être au volant de la 504 qui percute une DS à 110 km/h. Belmondo a une totale confiance en lui et le retrouvera pour chacun de ses films.
Autre élément important dans le succès durable de " Peur sur la ville " : la musique d'Ennio Morriconne. La collaboration du célèbre compositeur italien avec Henri Verneuil remonte à " La bataille de San Sebastian " en 1967. Le cinéaste l'avait imposé à la MGM après de longues discussions. Cette obstination à vouloir travailler ensemble fut payante, puisque leur association donnera lieu à des thèmes désormais célébrissimes comme ceux du " Clan des Siciliens " et du " Casse ". " A l'issue de la première projection de " Peur sur la ville ", raconte Henri Verneuil, Ennio m'a déclaré : " Je me demande vraiment où intervenir ! ". Car les séquences d'action étaient réalisées d'une telle façon qu'elles ne nécessitaient pas d'apport musical. L'agencement des bruits et des voix était suffisant. C'est là que l'on distingue le grand compositeur, celui qui sait trouver des solutions intelligentes, qui sait apporter au film une dimension supplémentaire. En définitive, pour " Peur sur la ville ", Ennio a écrit un thème trouble et un peu dissonant, avec sifflet et piano dans le grave, qui amène au film un " plus " d'inquiétude et de malaise. "
Signalons pour l'anecdote que Morricone fit appel au siffleur Alessandro Alessandroni et à l'harmoniciste Franco de Gemini, tous deux immortels interprètes de la bande originale de " Il était une fois dans l'ouest ".
Jean-Paul Belmondo changeait de cap en interprétant un policier pour la première fois de sa carrière ! Après les truands de " Borsalino ", " La scoumoune " etc, Bébel allait enfin jouer les défenseurs de l'ordre dans " Flic ou voyou ", " Le marginal " et " Le solitaire ". " Peur sur la ville " marque également pour lui une date dans ses méthodes de promotion. Producteur de ses films depuis " Docteur Popaul ", la star, conseillée par son chargé de publicité René Château, adopte un style, une formule qui allait durer dix ans. Sur l'affiche, Jean-Paul Belmondo devient désormais " BELMONDO " ; elle ne présente plus l'acteur dans une scène du film mais lui fait prendre la pose. " Cette affiche m'a été inspiré par celle de " Bullitt ", se souvient René Château (3). Si vous regardez l'affiche du film de Peter Yates, McQueen est en pull-over noir avec un holster. Or, dans le film, il n'est jamais habillé ainsi ! Dans " Peur sur la ville ", Belmondo n'apparaît non plus jamais en noir : ce sont des photos prises avant le tournage, aux essais, où, sur ma demande, l'habilleuse a vêtu Jean-Paul avec un pull-over et un pantalon noir. C'est donc un hommage à Steve McQueen... "
Le film totalisa 836 426 spectateurs sur Paris, le plaçant ainsi parmi les meilleurs scores de Jean-Paul Belmondo, juste derrière " Borsalino ".
(1) propos recueillis par Stéphane Lerouge pour le livret-CD " Le casse-Peur sur la ville " (Play-Time, 1997)
(2) cité dans " Jean-Paul Belmondo " de Philippe Durant (PAC, 1984)
(3) in " Belmondo " de Philippe Durant (Editions Favre, 1987)
Philippe Lombard.